6
Azilis se coucha tard mais peina à s’endormir. Aneurin l’avait guidée dans les rues de Constantinople. Elle avait aussi traversé la Gaule, croisé des guerriers francs, goths et burgondes, navigué sur le Liger[16], affronté les tempêtes d’une mer sans marées, combattu des brigands, parcouru des milles et des milles. Enfin, tandis que les flammes des chandelles vacillaient, sur le point de s’éteindre, Aneurin avait pris sa harpe et chanté les anciens récits de sa terre natale : exploits de guerriers invincibles, amours de magiciens pour des filles-fleurs.
Alors elle avait oublié la tristesse qui l’étreignait et la poussait depuis tant de mois à chevaucher avec pour seuls compagnons un esclave et un chien. Oubliés sa mère morte, son père brisé, son frère aîné parti en Bretagne, et Ninian, son jumeau adoré, happé par une vie de prières au fond d’un ermitage.
Son cœur avait battu vite et fort comme lorsqu’elle s’élançait au galop, se récitant des vers de l’Iliade ou de L’Énéide. Ce qu’elle lisait, ce qu’elle rêvait, son cousin l’avait vécu. Aneurin n’avait pas seulement apporté une harpe et une épée. Un frémissement de vie inespéré venait de parcourir son monde familier, de la ferme au jardin, des allées aux thermes, des mosaïques au regard voilé de son père.